» L’intérêt de la psychanalyse «
« Le traitement des savoirs du point de vue de la psychanalyse »
Jean-Paul RESWEBER, Professeur émérite de Philosophie de l’Université de Metz
On ne peut parler du traitement des savoirs en psychanalyse que si l’on prend soin de distinguer deux points de vue : celui des discours rendant compte de la pratique et celui d’une pratique mobilisant des discours.
1. Si l’on aborde la question du premier point de vue, il convient d’analyser les logiques qui président à l’échange des savoirs. D’abord, chez Freud : aussi bien sur le terrain plus réduit de la philosophie que sur celui des sciences humaines (ethnologie…etc) et des sciences exactes (thermodynamique, biologie, évolutionnisme…). C’est le schéma élargi de l’herméneutique de la Traumdeutung qui préside à la compréhension de cet échange, comme en témoigne le texte publié en 1933 dans la revue Scienza, (trad. par L. Assoun sous le titre L’intérêt de la psychanalyse pour les sciences, Paris, Retz, 1080). Chez Lacan, ensuite, avec lequel le dialogue prend une dimension plus large et plus « perlaborée » avec la philosophie (Platon, Aristote, St Augustin, Hugues de Saint-Victor, Descartes, Hegel, Husserl, Heidegger…), mais aussi avec la théologie mystique, dialogue qui se poursuit parallèlement avec les sciences humaines (sociologie de Durkheim, anthropologie de Levi-Strauss, linguistique de De Saussure, de Jakobson et de Benveniste, rhétorique…), avant de déboucher, sans renier les acquis, sur un constructivisme dont les mathématiques, et notamment la topologie, lui fourniront une modélisation adéquate. La logique herméneutique que Lacan fait sienne recoupe celle de Freud, mais elle s’en distingue, par la « déconstruction » et la subversion qu’elle opère sur des concepts, des schémas et des méthodes mis en examen et arraisonnés. La notion d’« Autre », par exemple, est significative de ce travail d’interprétation qui génère la production d’une série d’anamorphoses surprenantes.
2. Le second point de vue concerne le traitement des savoirs dans le discours de la pratique de l’analyse. Car y sont conviés des savoirs imbriqués qui constituent la culture inconsciente du sujet. Il va de soi que ces derniers sont mobilisés dans la cure par l’énonciation du sujet et par l’écoute analytique. On y trouve la mise à l’œuvre d’une déconstruction herméneutique commandée aussi bien par la règle des libres associations que par celle de l’écoute analytique qui fait émerger le maillage symbolique ou les connexions signifiantes des savoirs qui font symptôme. Mais cette logique s’efface devant l’acte d’interprétation qui fonctionnant comme adresse et renvoi cueille et lie les effets de sens dans une parole vraie.
Ainsi sommes-nous amenés à présumer que si l’échange des savoirs dans le discours de la psychanalyse mobilise une lecture herméneutique spécifique, elle requiert, dans la constitution même de son discours, un acte d’interprétation qui en rompt le cours et fixe le sens. Certes, dans le discours en analyse, c’est l’acte d’interprétation qui est essentiel, mais il ne peut faire fi d’un parcours herméneutique qui, par un travail de déconstruction, exhibe l’avers symbolique des savoirs. Ce second point est évidemment à interroger longuement.
3. Ce chassé-croisé entre herméneutique et acte d’interprétation, s’appuie sur des attendus épistémologiques qu’il convient d’approfondir : celui d’une ontologie fondée sur le langage et la parole, celui d’un savoir inconscient qui, « à être lu et ouï », s’accomplit dans une parole pleine qui serait paradoxalement celle d’un non-savoir : celui de la vérité d’un réel « condamné » par un rejet originaire qui, n’étant pas forclusion, accompagne le processus du refoulement, comme l’indique par le biais Lacan dans la traduction qu’il fait de la conférence « Logos » de Heidegger (1958) , texte charnière auquel il ne cessera pas de se référer dans Les Ecrits et dans les Séminaires.
Jean-Paul RESWEBER est professeur émérite de philosophie de l’Université de Lorraine (Metz). Il a publié aux éditions du Cerf et aux PUF divers ouvrages sur la question de l’herméneutique et de l’interprétation, sur l’interdisciplinarité et sur l’éducation. Il vient de publier, en 2012, un ouvrage intitulé Questions de soins (L’Harmattan) et, en 2013, Traduire Heidegger-Jacques Lacan (dans le numéro 31 de la Revue « Le Portique »).